La formation se met au jeu vidéo

01/08/2015 Formations/Examens
Formations/Examens La formation se met au jeu vidéo À mi-chemin entre jeu vidéo et simulation de conduite, le « serious game » s’apprête à faire son apparition dans la formation auto-école. Le réseau ECF, en partenariat avec Renault, a développé « the Good Drive ».

Imaginez une sorte de jeu vidéo très axé sur la pédagogie, qui vous propose d’aborder certaines étapes de la formation du conducteur. Une simulation de conduite « à domicile » où l’élève peut diriger le véhicule à l’aide de son smartphone, qui remplace alors le volant. Ce type d’outil porte un nom pour le moins ludique : le serious game, littéralement « jeu sérieux ». Et depuis bientôt deux ans, l’École de conduite française (ECF) a développé le premier logiciel de ce genre adapté à l’apprentissage de la conduite. Il s’appelle « the Good Drive », du nom de la start-up qui l’a conçu en partenariat avec Renault et ECF, et fait déjà office d’Ovni dans le paysage auto-école. « On va rentrer dans une phase de bêta test en juillet et août, confie Bruno Garancher, président d’ECF. Le serious game sera généralisé et inclus dans le prix du forfait dans toutes les auto-écoles ECF à partir de septembre. » Une douzaine d’auto-écoles adhérentes du réseau serviront de laboratoire au serious game cet été à Boulogne-sur-Mer, Paris, Nancy, Strasbourg, Poitiers, Lyon, Marseille ou encore Toulouse. Le groupe ECF aura l’exclusivité du logiciel pendant au moins trois ans sur le territoire français. Elle proposera aux élèves de télécharger l’application sur leur smartphone, et d’accéder au jeu en ligne. Néanmoins, il n’est pour l’instant pas possible d’y jouer en réseau.

15 séquences à valider
Nous avons eu l’occasion de tester the Good Drive dans les locaux de la start-up, situés dans le XVIIIème arrondissement de Paris. Première impression : les graphismes sont soignés, qu’il s’agisse des détails des décors, en rase campagne et dans le Paris haussmannien, ou de la plastique des voitures. La prise en mains n’est pas forcément évidente tout de suite, surtout lorsqu’on a l’habitude de conduire une « vraie » voiture. Il faut apprivoiser les différentes commandes disponibles sur le clavier du smartphone : à droite, un bouton rouge pour la pédale de frein ; à gauche, un bouton vert pour l’accélérateur. Deux boutons qui font office de clignotants, deux autres pour les rétroviseurs, et enfin un outil de « balayage visuel » qui permet de vérifier ses angles morts. La sensibilité du smartphone, qu’il faut tourner pour prendre les virages, est assez fidèle à celle d’un volant, bien qu’on ait plus tendance à mettre des « coups » brusques, causant des écarts de trajectoires, avec un objet aussi petit qu’un téléphone. 15 étapes ont été intégrées au jeu, avec un score minimum (80 points sur 100) à valider. En environnement rural ou urbain, les élèves doivent apprendre à maîtriser leur trajectoire, effectuer tous les contrôles avant de passer une intersection, adopter une vitesse régulière et adaptée. Le contenu pédagogique a été travaillé par des équipes d’ECF, avec une attention particulière accordée à l’intelligence artificielle. Le comportement des véhicules et des piétons se veut réaliste, par exemple lorsqu’un poids-lourd déboîte sur l’autoroute, ou encore quand un bus arrivant en face prend son virage large, en milieu urbain. Les autres usagers commettent parfois des erreurs, comme en situation réelle, et l’élève doit savoir les anticiper. Si la version du logiciel était, au moment de notre test début juin, « terminée à 85 % » selon Jean Menu, directeur général de la start-up, quelques petits détails restaient à modifier. La visibilité sur la gauche, par exemple, n’était pas optimale, et il fallait parfois avancer « à l’aveugle » à un cédez-le-passage ou un stop. Mais a priori, les équipes techniques devaient gommer ce problème avant le lancement définitif du jeu.

La France précurseuse
Comment ECF et Renault en sont venus à s’intéresser au serious game ? Jean Menu raconte la genèse du projet the Good Drive. « Je me suis penché sur ce concept, et j’ai pensé à l’adapter à la sécurité routière, un domaine de prédilection pour moi, car j’ai notamment occupé le poste de chef de bureau au ministère des Transports. J’ai contacté Gérard Acourt, ancien président d’ECF (NDLR : il préside aujourd’hui la commission Jeunes et éducation routière du CNSR). Je lui ai dit que si les auto-écoles ne se saisissaient pas de cet outil très vite, d’autres le feraient à leur place. Des groupes américains capables d’injecter trente millions d’euros… Ce qui n’est pas notre cas ! » Devant les adhérents de l’Anper, le 22 mai dernier, Christophe Lobert, responsable du pôle médias et système d’information au GNFA (Groupement national de formation automobile), a adopté le même genre de discours. « Si on n’invente pas un système de formation à distance à la française, de gros éditeurs mondiaux vont prendre les marchés. » Le serious game a déjà investi d’autres domaines, notamment dans la construction automobile. Il est utilisé pour former plusieurs dizaines de milliers d’employés simultanément à l’assemblage d’un véhicule, comme le montage et démontage d’un parechoc. Le constructeur Renault y a notamment beaucoup recours, d’où sa participation financière à ce projet. « Cela lui donne une dimension internationale », se félicite Jean Menu, qui espère exporter the Good Drive dans d’autres pays, comme en Inde par exemple, où de gros progrès – et c’est un euphémisme – sont à effectuer dans le domaine de la formation à la conduite.

Réduction du coût du permis
Et forcément, l’arrivée d’une telle technologie en pleine réforme du permis de conduire tombe à pic… Même si ce n’était pas prévu. « Quand on a lancé le projet, on ne savait pas que ça allait coïncider avec une réforme, reconnaît Bruno Garancher. Mais on veut l’inscrire à la fois dans une démarche pédagogique, pour montrer qu’on sait se saisir des nouvelles technologies, ainsi que dans une optique de réduction du coût du permis de conduire. » Selon les estimations « hautes » inscrites dans le cahier des charges du projet, ECF envisageait initialement une réduction de 30 % du volume d’heures de conduite grâce au serious game. La version « réaliste » se veut moins ambitieuse, avec une baisse malgré tout non négligeable de 20 % des leçons. Mais comment tabler sur un tel gain de temps dans la formation avec un jeu vidéo, aussi sérieux soit-il ? Selon les concepteurs, le « taux de transfert serait important » : en acquérant des automatismes sur le jeu, l’élève serait capable de les répéter en voiture. Et ce même si appuyer sur les touches d’un smartphone ne requiert pas les mêmes réflexes qu’appuyer sur les pédales. « Mais, on le remarque notamment pour élèves ayant fait du cyclo, ils ont acquis des automatismes qu’ils répètent assez naturellement en voiture », note Bruno Garancher. L’utilisation du jeu pourrait s’avérer encore plus bénéfique pour l’apprentissage sur boîte automatique, puisque the Good Drive ne permet pas de passer les vitesses. L’enjeu pour ECF sera à la fois de faire accepter le concept aux élèves, mais aussi aux formateurs. Ceux-ci devront regarder les résultats des jeunes sur the Good Drive, et voir ce qui est acquis et ce qui ne l’est pas, comme les contrôles et les trajectoires, bien qu’il soit difficile de juger uniquement ces dernières sur une voiture virtuelle guidée par un smartphone. Les élèves plus habitués aux jeux vidéo auront néanmoins la possibilité de brancher une manette ou un volant pour jouer, plutôt que leur téléphone. Autre inquiétude qui pourrait naître chez les gérants d’auto-école ECF : si the Good Drive fait baisser le volume d’heures de leçons, il faudra augmenter le volume d’inscriptions. Et si le réseau compte, pour ce faire, sur « l’effet d’annonce » créé par le serious game, il faudra que les jeunes adoptent le concept massivement. L’accès au serious game sera inclus dans le forfait conduite, et on peut imaginer que son coût sera légèrement répercuté.

La profession plutôt mitigée
Comme souvent, ce qui est nouveau effraie la profession. Les réactions recueillies sur notre page Facebook se sont même parfois voulues épidermiques. « Je trouve cela plutôt dangereux de faire l’amalgame entre vie réelle et vie virtuelle », explique Charlène. « Dans un premier temps, l’élève va se croire compétent puis va vite déchanter une fois en circulation », estime pour sa part Julien. Certains ont peur de cet outil « marketing », peur qu’il ne remplace, à terme, la formation du conducteur, ou du moins qu’il minimise son importance. Chez ECF pourtant, on assure vouloir en faire un outil de « complément », économique pour l’élève. Il s’inscrit d’ailleurs, selon Bruno Garancher, « dans la démarche du REMC (Référentiel pour l’éducation à une mobilité citoyenne), dans le sens où il inclut la notion de partage d’expérience, notamment s’il est utilisé en séance de groupe à l’auto-école ». Du côté de la start-up, on assure avoir voulu trouver le bon intermédiaire entre le côté « game » et le côté « serious ». « Il ne fallait pas que ce soit ennuyeux, pour que les élèves aient envie d’y passer plusieurs heures, à répéter les séquences, et de ce côté-là c’est plutôt réussi, souligne Olivier Mauco, directeur de recherche et de développement. Et pour la partie pédagogique, on a voulu que ce soit très progressif, en mettant des verrous, afin qu’une séquence soit validée avant de passer à la suivante. » The Good Drive sera amené à évoluer en fonction des remarques des utilisateurs. Reste à savoir, maintenant, l’impact que le serious game pourrait avoir sur la formation et la sécurité routière...

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