Formation professionnelle en entreprise: un marché rentable mais exigeant

01/09/2022 Formations/Examens
Formations/Examens Formation professionnelle en entreprise: un marché rentable mais exigeant

Les accidents de la route sont la 1ère cause de mortalité au travail. Pour enrayer ce phénomène, la Sécurité routière incite les entreprises à mener des actions de prévention et de formation. Un marché rentable pour les écoles de conduite, mais qui requiert des compétences élevées et une grande rigueur dans l’organisation du travail.

En 2020, 356 personnes ont été tuées lors d’un déplacement professionnel, dont les trois quarts lors d’un trajet domicile/travail. Cela représente 16 900 accidents et se traduit par plus de 4 millions de journées de travail perdues. Selon une enquête de MMA et de l’IFOP réalisée en avril 2022 auprès de 231 dirigeants et 500 salariés, seuls 17 % des premiers et 33 % des seconds identifient le risque routier comme la 1ère cause d’accident au travail. Cette méconnaissance explique la rareté des actions de prévention : seulement 6 % des entreprises en ont planifié en 2022, toujours selon l’enquête MMA/IFOP. En sachant que ces actions sont majoritairement menées dans les entreprises comptant plus de 250 salariés (63 %), et seulement 15 % dans les TPE. À noter que le risque routier doit obligatoirement être mentionné dans le document unique d’évaluation des risques professionnels. C’est le cas pour 44 % des entreprises. Face aux enjeux sociaux et économiques liés à l’accidentologie, une vingtaine de dirigeants ont signé en 2016 sept engagements en matière de sécurité routière (voir encadré p.21). Cette année encore, la Sécurité routière a incité les entrepreneurs à proposer des formations régulières à leurs salariés, sur les thématiques de la fatigue, la vitesse, le port de la ceinture, les éléments distracteurs, la consommation d’alcool et de stupéfiants... « Qui mieux que les écoles de conduite pour dispenser ces formations professionnelles ? C’est dans leur ADN ! », lance Patrice Bessone, président de Mobilians-ESR. Ce marché existe depuis des décennies avec la préparation au permis poids-lourd, puis à la Fimo et à la FCO. Il s’est ensuite ouvert aux CACES, aux titres professionnels et récemment à l’éco-conduite. « L’éco-conduite est un serpent de mer qui revient à chaque hausse du prix du carburant. En revanche, un certain nombre d’auto-écoles ont élargi leur gamme de formation à l’habilitation à la conduite de véhicules électriques, gestes et postures, sécurité routière en entreprise. Mais ces derniers créneaux offrent des perspectives très limitées », estime Bruno Garancher, président d’ECF.

Rentabilité et exigence élevées
Pour les écoles de conduite, l’intérêt de se positionner sur ce segment est sans conteste le taux de rentabilité élevé. « Les marges se situent entre 8 % et 15 % », poursuit le responsable. Pierre Lemayitch, secrétaire général de l’ANPER le confirme : « c’est une activité différenciante pour les écoles de conduite qui souhaitent récupérer un peu de liberté économique et financière vis-à-vis du permis B fortement concurrencé ». En effet, les plateformes numériques ne se sont pas emparées de la formation professionnelle. Il n’en demeure pas moins que ce marché est détenu par de grands organismes de formation tels que AFTRAL, Promotrans, mais aussi ECF. Ce réseau réalise d’ailleurs la moitié de son activité sur ce segment. Soit l’équivalent de 115 M€ de chiffre d’affaires par an. Ces opérateurs disposent d’une taille critique et de plusieurs implantations réparties en France. Des avantages pour répondre aux appels d’offre nationaux. « Les services achats des grandes entreprises centralisent ces marchés car ils peuvent ainsi négocier les conditions tarifaires. C’est ce que fait l’État. Par contre, ils sont souvent multi-attributaires pour les sécuriser en cas de défaillance de l’un des prestataires », précise Bruno Garancher. Ces contrats d’une durée de 1 à 5 ans peuvent aussi être passés localement de gré à gré, c’est-à-dire avec une auto-école locale. « Ce sont en effet des marchés à prendre par les écoles de conduite », reconnaît Sandra Carasco, présidente de l’UNIC, « mais ils sont difficilement accessibles aux petites structures ». Difficiles, mais pas totalement impossibles. « Certes, seuls les grands groupes peuvent répondre aux appels d’offres nationaux. Ce qui ne veut pas dire qu’une auto-école de petite taille ne peut pas se positionner ». ECF fait, par exemple, appel à des écoles de conduite indépendantes quand aucun de ses adhérents n’est présent dans une région. Autres cas de figure : les marchés passés par les conseils départementaux, notamment pour les services d’incendie et de secours (SDIS). Patrice Bessone estime, lui-aussi, que la formation Pro n’est pas l’apanage des grandes structures. « En France, les PME et TPE représentent 90 % des entreprises. C’est celles-là que les écoles de conduite de proximité doivent cibler. » Cette frange d’entreprises dispose généralement d’un parc de véhicules professionnels et peut vouloir sensibiliser leurs salariés à la sécurité routière, à la conduite apaisée et anticipatrice. Pour les auto-écoles, cette nouvelle corde à leur arc nécessite à la fois d’être certifié organisme de formation et de disposer de compétences élevées car les prescripteurs sont exigeants. « Il faut être très organisé car il y a beaucoup de travail administratif en amont et en aval de la prestation », confirme Patrick Crespo, président du réseau CER. Mais pas seulement.

Une activité chronophage
Tout centre de formation doit chaque année établir un bilan pédagogique et financier. Ces appels d’offres incluent la planification des formations pour ne pas perturber l’organisation de l’entreprise. Pas question donc de proposer deux heures par-ci et deux heures par-là. « C’est une activité chronophage. Or les petites écoles de conduite travaillent toujours dans l’urgence pour rentrer du chiffre car elles n’ont pas de trésorerie », rappelle Sandra Carasco. Autre problématique pointée par la représentante de l’UNIC : « il faut aussi dégager des ressources humaines. Ce qui, à l’heure actuelle, est très compliqué du fait de la pénurie de formateurs ».

Ingénierie financière
Sans compter que la formation Pro, nécessite que les gérants d’auto-école se forment eux-mêmes aux aspects réglementaires et techniques de ces marchés, aux besoins, à la stratégie commerciale… C’est également le cas pour le personnel. « Nous avons dû transformer nos secrétaires en conseillères en formation. La seule façon qu’ont les auto-écoles de récupérer ce marché est de faire jeu égal avec les grands organismes institutionnels. Pour cela, elles doivent faire de l’ingénierie financière », indique Bruno Garancher. Autrement dit, cerner les profils des stagiaires, trouver des financements et monter des dossiers. Il ne faut pas non plus hésiter à prospecter et démarcher les entreprises. « C’est un changement de paradigme : si les écoles de conduite ne sont pas capables de trouver des solutions de financement pour leurs clients, elles vont s’enferrer dans un système où le seul critère d’achat sera le prix », affirme le président d’ECF. L’ANPER a développé un dispositif pour accompagner les écoles de conduire qui souhaiteraient se diversifier dans le domaine de la formation professionnelle en entreprise. « Les auto-écoles ont des compétences en matière de sécurité routière, de pédagogie, de conduite et de prévention des risques au sens large », indique Pierre Lemayitch. « En revanche, elles ne sont pas forcément spécialisées dans le risque routier professionnel. Elles doivent donc se former pour intervenir sur ce thème ». L’ANPER organise deux types de formation : la première porte sur la définition et la préparation d’une offre commerciale, la définition d’un programme pédagogique et la conception d’outils et de supports. La seconde est ciblée sur l’identification et la négociation des contrats. Car cela aussi ne s’improvise pas. Il faut démarcher les entreprises, identifier leurs besoins et les risques liés à leur activité. Il s’agit aussi de leur présenter les différents fonds dédiés à la formation qui existent, comment elles peuvent les mutualiser afin d’envoyer plusieurs de leurs salariés se former. Un travail conséquent qui a conduit ECF et CER à créer des filiales à part entière dédiées à la formation Pro. L’ANPER a, de son côté, négocié des contrats avec des prescripteurs. C’est le cas, avec l’appel d’offre de l’Institut de retraite et de prévoyance des services automobile (IRP Auto), remporté en 2021. « L’IRP auto nous transmet des commandes que nous confions ensuite à nos adhérents », indique Pierre Lemayitch. Au programme de ces formations : la prévention du risque routier en entreprise, la réalisation d’un audit de conduite et le management de la sécurité routière et les comportements à adopter.

Se regrouper
L’une des solutions pour les écoles de conduite qui souhaiteraient se positionner sur ce créneau est de se regrouper.
« Fonctionner avec un réseau est plus simple, si l’on veut se lancer », constate Bruno Garancher. « La plupart des nouveaux adhérents sont des chefs d’entreprise qui se posent la question de la formation Pro ». Car travailler ensemble présente un intérêt : mutualiser les coûts d’investissement, l’achat de matériel ainsi que les tâches administratives. « C’est en travaillant en groupe que l’on trouve de la rentabilité. De plus, cela enrichit les échanges », affirme Patrick Crespo. Sandra Carasco en est également persuadée. « Je crois beaucoup en l’union des forces. Il serait tout à fait envisageable de créer des groupements d’intérêt économique (GIE) pour investir et répondre aux appels d’offres régionaux. » Reste que dans les faits ce n’est pas si courant. Loin de là. « La profession n’est pas encore prête à travailler en groupement. Nous sommes encore trop ancrés dans l’immédiateté pour parer au plus pressé », regrette la présidente de l’UNIC. « Si nous ne nous imposons pas de sortir de ce fonctionnement, nous n’évoluerons pas. Il va falloir se poser, dégager du temps dans nos agendas pour réfléchir et voir ce que l’on peut faire ensemble. C’est un marché à saisir car au-delà des marges importantes, c’est aussi l’occasion de s’adresser à un autre public et de sortir de la préparation au permis B. »

Christine Cabiron

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Un manque d’information sur le risque routier en entreprise

Selon l’enquête MMA/IFOP, 41 % des dirigeants de TPE, PME et ETI ont le sentiment d’être insuffisamment informés sur les enjeux et règles relatives au risque routier en entreprise. Les enjeux perçus comme prioritaires sont l’alcool au volant (66 %), la consommation de stupéfiants (46 %) et les distracteurs (46 %). Autres enseignements : 42 % des salariés sont amenés à conduire dans le cadre de leur travail. 82 % d’entre eux adoptent parfois des comportements à risque. Par ailleurs, 71 % disent ne pas respecter les limitations de vitesse, 56 % reconnaissent utiliser le téléphone et 32 % somnolent au volant. 49 % des salariés déclarent avoir frôlé un accident, 19 % en ont eu un, 42 % ont été verbalisés et 36 % ont perdu des points sur leur permis.

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Des chefs d’entreprise engagés

Vingt-et-un chefs d’entreprise se sont publiquement engagés en faveur de la sécurité routière en 2021. Ils ont ainsi signé un document détaillant sept engagements pour favoriser la formation. Parmi lesquels, la limitation aux cas d’urgence des conversations téléphoniques, la sobriété sur la route, le port de la ceinture de sécurité, le respect des limitations de vitesse, l’intégration du temps de repos dans le calcul des temps de trajets. Ils encouragent également les conducteurs de deux-roues à mieux s’équiper. Aujourd’hui, ce programme réunit 2 000 signataires qui emploient 3,8 millions de salariés.

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