Liquidation ou vente de société : quels risques peut encourir l’ancien dirigeant ?
01/04/2024 Économie/EntrepriseContrairement à ce que l’on imagine généralement, tout ne s’arrête pas pour le dirigeant d’une société, au moment de sa radiation. Celui-ci peut encore être poursuivi et condamné même si sa société n’existe plus.
Il n’est malheureusement pas rare que l’aventure de la création d’entreprise ne soit finalement pas convaincante. Les obstacles dans le développement, le contexte économique, les contrariétés avec le personnel peuvent décourager l’entrepreneur et le pousser à renoncer. Les entreprises étant la plupart du temps exploitées sous forme de société, l’entrepreneur pense alors que toutes ses tracasseries vont cesser avec la fermeture. Or, les choses ne sont pas si simples. Que la société soit arrêtée volontairement, à la suite de difficultés économiques ou après une vente, son ancien dirigeant peut encore être inquiété. Voyons ce que risque ce dirigeant selon le contexte à l’origine de la fermeture.
► En cas d’arrêt volontaire d’une société
L’entrepreneur à la tête d’une société peut décider à tout moment d’arrêter son exploitation. On parle alors de dissolution volontaire de la société. Dans ce cas et conformément à ce que prévoit l’article L. 237-2 du Code de commerce, la société est immédiatement placée en liquidation en l’occurrence amiable, puisque décidée par les associés ou l’associé unique de la société (et non par le tribunal de commerce). Les opérations de liquidation amiable sont souvent confiées au dirigeant de la société, lequel doit évaluer les actifs, recenser et payer toutes les dettes de la société, voire mettre un terme aux contrats de travail en cours s’ils en existent. En tant que liquidateur amiable, l’ancien dirigeant doit veiller à ce que la cessation de l’entreprise ne crée de préjudice à personne. Il doit donc payer toutes les dettes en cours et prévoir des provisions suffisantes pour les créances litigieuses ou à naître. Si ces opérations sont mal menées ou avec précipitation, le dirigeant peut être poursuivi directement par les créanciers ou les tiers lésés. Dans ce cas, l’ancien dirigeant n’est plus protégé par la forme de la société. Sa responsabilité est personnelle. C’est-à-dire qu’il peut être amené à payer au-delà du montant de ses apports et depuis son patrimoine personnel, les dettes qu’il n’a pas veillées à solder et/ou à provisionner lors des opérations de liquidation amiable. Un ancien dirigeant ayant assumé les fonctions de liquidateur amiable, a, par exemple, été condamné à payer personnellement une dette de TVA au motif qu’il avait clôturé les opérations de liquidation sans provisionner une quelconque somme alors qu’un contrôle fiscal était en cours. Cette responsabilité est aussi encourue lorsque la société est liquidée et radiée alors qu’un procès prud’homal est engagé. Il faut savoir qu’en cas de liquidation amiable le « régime national » de garantie des AGS (assurance de garantie des salaires) ne joue pas. Aussi, le dirigeant nommé liquidateur amiable et qui avait, à ce titre, connaissance d’un procès prud’homal en cours, peut être tenu de régler personnellement les suites du jugement à venir, s’il a liquidé et demandé la radiation de la société sans provisionner les condamnations sollicitées en justice par l’ancien salarié.
► En cas de vente de la société ou du fonds de commerce
Le dirigeant qui a développé une entreprise peut aussi décider d’en confier la poursuite à un autre entrepreneur. Le dirigeant va donc mettre fin à son exploitation personnelle et radier sa société, car il ne sera plus à la tête de l’entreprise qu’il a vendue. Ainsi que nous l’avons vu dans La Tribune des Auto-Écoles n°263 (Octobre/novembre 2023), la vente d’entreprise peut prendre deux formes : celle d’une cession de fonds de commerce ou du rachat des titres de la société. Or, dans l’un ou l’autre cas, le vendeur et donc l’ancien dirigeant, n’est pas libéré, une fois encaissé le prix de vente et son entreprise radiée. La vente du fonds de commerce laisse en effet survivre plusieurs obligations pour le vendeur. Celui-ci peut notamment être recherché au titre de la garantie d’éviction ou des vices cachées par l’acheteur. Ce sera le cas, si l’ancien dirigeant vendeur décide d’ouvrir une entreprise à proximité de l’ancien fonds vendu ou s’il s’abstient d’informer l’acheteur d’une panne ou usure avancée d’un équipement du fonds.
Mais surtout, il faut savoir que la plupart des baux commerciaux contient une clause dite de garantie solidaire du cédant. Ce qui signifie que pendant 3 ans au plus, le bailleur du fonds vendu peut se retourner contre l’ancien dirigeant et lui demander de payer les loyers du fonds si le repreneur est défaillant en la matière. Autrement dit, pendant 3 ans, l’ancien dirigeant risque de devoir régler son ancien loyer en tant que caution du repreneur. Lorsqu’il est fait le choix de vendre l’entreprise au moyen d’une cession de ses titres, l’autre principal risque encouru par l’ancien dirigeant est celui de la mise en œuvre de la clause dite de garantie d’actif et de passif qui est régulièrement, voire systématiquement, prévue dans les actes de vente de société. Par cette clause, l’ancien dirigeant s’engage à indemniser l’acheteur en cas de fluctuation de l’actif ou du passif due à une cause antérieure à la vente mais qui se révèle postérieurement. Ainsi après la vente, l’ancien dirigeant peut être tenu, par exemple, de devoir régler les suites d’un procès engagé avant la vente.
► En cas de fermeture pour raisons économiques
Malheureusement, il arrive que la fermeture d’une entreprise ne résulte pas de la volonté du dirigeant mais du contexte économique défavorable. Confronté à une baisse de son chiffre d’affaires l’empêchant de faire face normalement à ses dettes, le dirigeant de société doit agir. Dès lors qu’il constate un état de cessation de paiement, c’est-à-dire l’impossibilité d’honorer son passif (ses échéances de règlement) avec son actif disponible (sa trésorerie), le dirigeant a l’obligation de demander au tribunal de commerce dont dépend son entreprise, l’ouverture d’une procédure collective de redressement ou liquidation judiciaire. Cette demande doit être formée au plus tard dans les 45 jours qui suivent le constat de la cessation de paiement. S’il respecte bien cette obligation qu’impose l’état de cessation de paiement, l’ancien dirigeant n’a pas lieu d’être sanctionné à la suite de la liquidation de sa société. Normalement, il n’aura pas à régler les dettes qui subsistent après la liquidation.
Il en sera toutefois autrement lorsque le mandataire désigné par le tribunal pour mener les opérations de liquidation judiciaire relève l’existence de fautes de gestion de la part du dirigeant. Dans ce cas, ce dernier risque une action en comblement de passif, c’est-à-dire une action qui vise à mettre à sa charge personnelle les sommes restant à rembourser aux créanciers. Le dirigeant encourt aussi le délit de banqueroute punissable de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, ainsi que les sanctions de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer pouvant aller jusqu’à 15 ans. Les situations susceptibles de générer ces mesures sont listées aux articles L. 653-3 et suivants du Code de commerce et comprennent notamment : le fait de retarder sciemment l’ouverture d’une procédure collective, de détourner l’actif de son entreprise, de faire disparaître des documents comptables.
► Mise en œuvre de la responsabilité encourue
On l’a vu la responsabilité de l’ancien dirigeant peut être recherchée s’il s’avère que celui-ci, par ses actions, a concouru à la liquidation judiciaire de la société ou n’a pas mené valablement les opérations de liquidation amiable. Les créanciers lésés, le Procureur, le mandataire judiciaire peuvent demander au tribunal de commerce de condamner l’ancien dirigeant à régler personnellement une partie des dettes de la société liquidée. L’action en comblement de passif ou à l’encontre du dirigeant liquidateur amiable est à engager dans les trois ans de l’apparition du fait dommageable ou du jugement de liquidation. Lorsque l’ancien dirigeant a vocation à être mis en cause à la suite de la vente de l’entreprise, les délais d’action sont variables et dépendent souvent de ce qui est stipulé dans l’acte de vente. En règle générale, ces délais sont de 2 à 5 ans. Au final, la preuve est faite que la fin d’une société et sa radiation du RCS ne libèrent pas l’ancien dirigeant. Celui-ci risque, pendant plusieurs années encore, d’être mis en cause et condamné personnellement à la suite de la vente de l’entreprise et en cas de gestion ou de liquidation amiable menées dans des conditions contestables. Aussi, si votre entreprise rencontre des problèmes avec des créanciers, des anciens salariés, des clients et que face à ces difficultés, vous décidez de renoncer en vendant ou fermant l’entreprise, faites-le toujours avec loyauté, prudence et en prenant conseil au préalable auprès d'un expert compétent.