Consommation de stupéfiants : Quels recours pour l’exploitant ?

01/05/2018 Économie/Entreprise
Économie/Entreprise Consommation de stupéfiants : Quels recours pour l’exploitant ?

Selon le baromètre santé 2014 de l’INPES, la consommation de cannabis touche 11% des 18-64 ans et aurait concerné une entreprise sur dix. Les établissements de formation à la consuite ne sont pas épargnés par cette addiction grandissante.

L’école de conduite a-t-elle vraiment les moyens d’éradiquer ce fléau qui peut concerner tant l’élève que le moniteur ? La question semble plus simple s’agissant de l’élève. La plupart des contrats élèves prévoit aujourd’hui l’exclusion et la restitution du dossier en cas de présentation en leçon sous l’emprise de la drogue ou de l’alcool. De plus, investis par les pouvoirs publics d’un rôle préventif essentiel et tenus d’assurer la sécurité de l’élève et des autres usagers de la route, les enseignants de la conduite sont légitimes à refuser l’accès au cours ou à interrompre celui-ci dès que l’élève présente un comportement suspect. L’élève ainsi mis en cause sera par ailleurs peu enclin à contester compte tenu de la sanction encourue (2 ans d’interdiction de passer le permis) en cas de contrôle positif.

La problématique du moniteur consommateur
La situation est en revanche plus épineuse pour le moniteur qui dispose du régime protecteur du droit du travail et interdisant à l’employeur de s’appuyer sur de simples soupçons ou de porter atteinte aux libertés individuelles du salarié. Ainsi l’exploitant se trouve souvent démuni lorsqu’il a affaire à un enseignant qu’il suspecte de consommer de la drogue pendant son temps libre. Il s’agit d’un fait de la vie privée sur lequel l’employeur n’a pas de maîtrise. Pourtant, les effets de la drogue étant durables, l’employeur a intérêt à éradiquer ce phénomène, à l’origine, il faut le préciser, de 15 à 20 % des accidents professionnels. Pour ce faire, l’exploitant ne peut malheureusement pas s’appuyer sur des dispositions du Code du travail. Ce pavé ne comporte en effet aucun texte relatif à la consommation de cannabis. Le législateur a sûrement pensé que l’interdiction générale prescrite par le Code pénal devait suffire, ce qui est évidemment un leurre. Ce n’est pas parce qu’il encourt une peine d’emprisonnement d’1 an et 3 500 euros d’amende que l’enseignant s’abstiendra de consommer de la drogue. Ne pouvant compter ni sur la bonne volonté humaine ni sur le Code du travail, l’employeur est contraint de faire preuve d’œuvre créatrice, c’est à lui d’édicter des règles pour proscrire la consommation de drogue dans son entreprise. L’exploitant est d’autant plus légitime à le faire qu’outre l’obligation générale de préserver la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il est strictement tenu comme n’importe quel autre employeur (art. L.1121-1 du Code du travail), ce professionnel peut mettre en avant les textes propres à la profession et notamment l’article R.212-4 du Code de la route qui exclut le maintien de l’autorisation d’enseigner à celui qui conduit ou accompagne sous l’influence de stupéfiants.

De l’action préventive obligatoire mais insuffisante
Afin de mettre en garde l’enseignant, l’employeur a donc intérêt à insérer dans le contrat de travail et au titre des obligations professionnelles, que conformément aux règles de la profession et aux risques que fait encourir l’exercice de l’emploi, l’enseignant s’interdit en toutes circonstances de consommer ou de travailler sous l’emprise de la drogue. Une telle interdiction peut également être prescrite aux termes du règlement intérieur de l’entreprise ou par note de service. Toutefois cette interdiction contractuelle, si elle peut inviter le moniteur à la prudence, ne permet pas à elle seule et en cas d’infraction, de procéder au licenciement. Il est en effet nécessaire de prouver par des éléments objectifs que le moniteur a enfreint l’interdiction. En d’autres termes, pour sanctionner, l’employeur doit établir que le moniteur se trouve sous l’emprise de drogue.
Jusqu’à récemment cette preuve était tout à fait difficile à rapporter. L’exploitant d’auto-école qui n’est ni médecin, ni agent de police ne pouvait faire pratiquer un test de dépistage. Aussi lorsqu’il soupçonnait une addiction, l’employeur pouvait seulement imposer au salarié de se rendre à la médecine du travail, laquelle, si elle relevait la présence de drogue, délivrait un avis d’inaptitude. Or cet avis qui n’est pas explicité puisque le médecin est tenu au secret, ne permettait pas de mettre fin au contrat. Le salarié potentiellement dangereux était simplement éloigné un temps de l’entreprise.

Rédaction d’une clause dans le réglement intérieur
Mais depuis un arrêt du Conseil d’état du 5 décembre 2016, l’arsenal de l’employeur a été amélioré. Celui-ci peut désormais prévoir aux termes du règlement intérieur de soumettre les salariés dont l’emploi comporte des exigences de sécurité et de maîtrise du comportement à un test salivaire. Un soin particulier doit être apporté à la rédaction de cette clause du règlement. Seul est autorisé le test limité à certains emplois et pratiqué par un membre de la direction. De plus, le test requiert l’accord du salarié, la présence d’un témoin et le droit pour le salarié de recourir à une contre-expertise à la charge de l’employeur. À noter que si le test se révèle positif ou si le salarié refuse le test, l’employeur peut sanctionner, voire licencier le salarié. Les motifs pourront alors être la mise en danger résultant de la consommation de drogue avérée ou l’insubordination en cas de refus du test.

Véronique Viot
Avocate au Barreau de Paris

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