Comment bien mener un licenciement économique ?

01/04/2021 Réglementation
Réglementation Comment bien mener un licenciement économique ?

Fragilisées par la crise du Covid-19 qui dure maintenant depuis plus d’un an, certaines TPE seront probablement amenées à envisager des licenciements économiques. Des règles sont alors à connaître avant de mettre en œuvre une telle mesure.

Même si les auto-écoles ont intégré la catégorie des commerces essentiels à compter du deuxième confinement, la crise actuelle risque de ne pas épargner les plus fragiles d’entre elles. Les TPE dont la santé économique était déjà précaire en 2019 ne survivront peut-être pas. En mai 2020, Philippe Colombani, président de l’UNIC, redoutait la fermeture de 30 % des auto-écoles suite à la crise. Or, avant de parvenir à cette issue fatale, l’entreprise peut tenter des ajustements et notamment réduire ce qui représente souvent son premier poste de dépenses au bilan, à savoir sa masse salariale. Le salut de l’entreprise en crise passe malheureusement fréquemment par la mise en œuvre de licenciements qui seront alors de nature économique.

→ Ce qui justifie le licenciement économique
Le licenciement économique est usuellement présenté par la négative. Il s’agit d’un licenciement qui n’a pas pour origine la personne du salarié. Ce n’est pas l’attitude du salarié au travail qui génère la rupture du contrat de travail mais les difficultés économiques, le problème de compétitivité, la nécessité de cesser son activité que présente l’entreprise. La loi dite Travail de 2016 est venue préciser les indicateurs économiques à prendre en compte pour vérifier l’existence de difficultés économiques justifiant un licenciement économique. Le Code du travail vise la baisse du chiffre d’affaires ou des commandes, en précisant qu’elle doit être observée sur un trimestre au moins lorsque l’entreprise compte moins de 11 salariés. Les pertes d’exploitation, la dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation sont également des indicateurs retenus par le Code de travail. Attention, dans tous les cas, la dégradation déplorée de l’indicateur retenu doit être significative. Un simple ralentissement temporaire de l’activité, la perte d’un marché, la volonté de faire des économies sont insuffisants pour justifier un licenciement économique. Par ailleurs, la dégradation constatée doit être telle qu’elle impacte directement les emplois de la société. Face à ses difficultés de trésorerie et à son niveau d’activité réduit, l’employeur ne doit pas avoir d’autres alternatives que de supprimer ou de modifier des emplois (passage d’un temps plein à temps partiel par exemple). Pour résumer, le licenciement économique n’est possible que dans un contexte économique dégradé et nécessitant une réorganisation durable des emplois de l’entreprise, soit des situations que les juristes identifient sous le vocable d’élément causal (la raison d’ordre économique) et d’élément matériel (l’impact sur l’emploi) du licenciement économique.

→ La recherche de reclassement, préalable obligatoire
La jurisprudence, puis la loi, sont venues ajouter à ces éléments, un critère supplémentaire. Le licenciement pour motif économique ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré. En d’autres termes, le licenciement doit être la dernière mesure à prendre. Avant cela, l’employeur qui compte plusieurs établissements en France doit vérifier qu’il n’est pas en mesure d’offrir un autre emploi éventuellement adapté au salarié concerné. L’employeur doit proposer un reclassement sur tout emploi disponible même s’il s’agit d’un emploi en CDD ou d’un poste d’une qualification moindre. À noter, depuis les ordonnances dites Macron de septembre 2017, la recherche de reclassement est limitée aux établissements de l’entreprise situés en France. Elle n’est plus étendue aux entreprises appartenant à un même réseau de franchise. Ainsi une auto-école exploitée sous les enseignes CER ou ECF n’a plus à interroger toutes les entreprises du réseau sur les emplois disponibles en leur sein et pouvant être proposés à titre de reclassement au salarié concerné.

→ Le choix du salarié visé
Ce n’est qu’une fois acquise l’impossibilité de reclassement que l’employeur peut lancer la procédure de licenciement. À ce moment, l’obligation de faire le choix entre plusieurs salariés peut se présenter. Prenons l’hypothèse d’une auto-école qui, à raison de la baisse de son activité doit se résoudre à supprimer un emploi d’enseignant. La procédure de licenciement pour motif économique ne pourra pas concerner n’importe quel moniteur. L’employeur est tenu de prendre en considération les critères d’ordre mentionnés à l’article L. 1233-5 du Code du travail, c’est-à-dire les charges de famille, l’ancienneté, la potentielle difficulté de réinsertion professionnelle (âge, handicap) et les qualités professionnelles des salariés concernés. Ces situations génèrent l’affectation de points dans les proportions choisies par l’employeur, étant précisé que la procédure de licenciement touchera le moniteur qui décomptera le moins de points. Il faut savoir que le fait de procéder au licenciement sans égard pour les critères d’ordres ne rend pas la rupture du contrat abusive mais expose l’employeur à devoir régler des dommages et intérêts calculés en fonction du préjudice subi par le salarié et aussi une amende de 4ème classe.

→ La mise en œuvre de la procédure de licenciement
Une fois identifié, le salarié concerné est convoqué à un entretien préalable au licenciement. Dans les entreprises de moins de 1 000 salariés, l’employeur a par ailleurs l’obligation de proposer au salarié, lors de l’entretien, d’adhérer au Contrat de Sécurisation Professionnelle (CSP). Cette convention conclue en partenariat avec Pole Emploi permet au salarié de quitter plus rapidement l’entreprise et surtout de bénéficier d’un meilleur accompagnement pendant les douze premiers mois de sa période de chômage (indemnités chômage d’un montant bonifié et suivi renforcé pour le retour à l’emploi). Pour être en mesure de proposer l’adhésion au CSP, l’employeur doit veiller, avant la tenue de l’entretien, à télécharger sur le site de Pole Emploi les documents relatifs au CSP. Il doit aussi préparer une note à remettre au salarié en expliquant les motifs du licenciement c’est-à-dire les difficultés économiques, leur impact sur l’emploi en cause et l’absence de reclassement possible. Au terme de l’entretien, le salarié dispose de 21 jours pour accepter l’adhésion au CSP. Son absence de réponse dans ce délai vaut refus. En cas d’acceptation, le contrat de travail est immédiatement rompu à l’issue des 21 jours du délai de réflexion. Cependant, avant cela, l’employeur a la possibilité de faire parvenir la lettre de licenciement. En effet, celle-ci peut être adressée dès l’expiration d’un délai 7 jours après l’entretien (15 jours pour un cadre). L’envoi de la lettre de licenciement ne prive pas le salarié de son droit d’accepter le CSP. D’ailleurs, la lettre de licenciement doit rappeler, le cas échéant, la fin du délai laissé pour l’adhésion au CSP. D’autres mentions doivent obligatoirement être portées dans la lettre de licenciement et en particulier le fait que le salarié bénéficie d’une priorité de réembauchage pendant un an et qu’il dispose d’un an pour contester la mesure de licenciement. La lettre de licenciement doit surtout parfaitement détailler l’existence de l’élément causal, de l’élément matériel du licenciement ainsi que la tentative de recherche de reclassement et ses résultats.

→ Les suites du licenciement économique
Le licenciement économique ouvre droit à l’exécution d’un préavis. Il en est différemment seulement si le salarié adhère au CSP. Cependant, pour l’employeur, la charge demeure la même puisque dans ce cas, la somme due au titre du préavis est à verser aux services de Pole Emploi. L’employeur doit aussi et dans tous les cas, régler l’indemnité de congés payés, de licenciement, puis veiller à informer la DIRECCTE dans les 8 jours de l’envoi de la lettre de licenciement au salarié. Par la suite, l’employeur sera quelque peu contraint par le licenciement réalisé. En particulier l’employeur ne peut pas procéder librement à une nouvelle embauche. Il lui appartient en premier lieu de proposer l’emploi au salarié licencié disposant d’une priorité de réembauchage, à défaut il s’expose au paiement d’une indemnité correspondant à un mois de salaire au moins. L’article L. 1242-5 du Code du travail interdit, lui, dans les six mois suivant un licenciement économique de conclure un CDD ou un contrat d’intérim de plus de 3 mois au titre d’un accroissement temporaire d’activité. Quant aux juges, ils déclarent volontiers sans cause réelle et sérieuse le licenciement dont ils sont saisis s’ils relèvent l’existence d’une nouvelle embauche quelque temps après le départ du salarié licencié. Selon les juges, cette situation atteste du fait que l’élément matériel du licenciement (en l’occurrence la suppression d’emploi) n’avait pas d’existence sérieuse, ce qui suffit à rendre injustifié le licenciement opéré. En effet, la réunion des éléments composant le licenciement économique (causal, matériel et respect de l’obligation de reclassement) est exigée de manière cumulative.

→ Des alternatives possibles au licenciement pour motif économique
La TPE confrontée à des difficultés économiques n’a pas exclusivement à faire le choix du licenciement économique. Il est désormais admis que la présence de difficultés économiques n’exclut pas le recours à la rupture conventionnelle, ce qui est plutôt avantageux pour l’employeur (pas de préavis dû, procédure simplifiée et risque prud’homal plus limité). Cependant les juges rappellent volontiers que la rupture conventionnelle ne doit pas être utilisée en fraude des droits que pourrait tenir le salarié de la procédure de licenciement économique. Aussi s’il est finalement opté pour la rupture conventionnelle, il est recommandé d’aviser le salarié des droits que pourrait lui ouvrir le licenciement économique et aussi de lui allouer une indemnité de rupture en correspondance avec ces droits (préavis si pas de CSP, meilleure indemnisation chômage si CSP). En d’autres termes, il faut s’assurer que le salarié a consenti à la rupture conventionnelle en pleine connaissance de cause et que ce mode de rupture ne le désavantage pas. Depuis le 15 janvier dernier, les entreprises dont les emplois sont menacés, ont le moyen de faire une autre proposition à leurs salariés grâce au dispositif TransCo (transitions collectives) mis en place dans le cadre du plan France relance. Il s’agit de proposer une reconversion sur des métiers porteurs identifiés dans chaque région. S’il est éligible, le salarié aura le droit au maintien de son salaire et de son contrat de travail pendant 24 mois. La formation certifiante pour accéder au métier porteur sera aussi intégralement prise en charge. L’ensemble du dispositif est piloté par l’OPCO dont relève l’entreprise et financé par l’État et à 100  % pour les entreprises comptant moins de 300 salariés.

Véronique Viot,
Avocate au Barreau de Paris

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