Enseignement de la conduite aux handicapés : des progrès malgré une faible rentabilité
01/02/2016
Formations/Examens
En France, la formation à la conduite pour les personnes handicapées continue de s’améliorer. Mais certains handicaps restent oubliés et la rentabilité d’une telle formation n’est pas toujours vérifiée.
En amont de la Journée internationale des personnes handicapées – célébrée chaque année le 3 décembre depuis sa création en 1992 par les Nations Unies –, divers organismes tels que l’Association nationale pour l’intégration des personnes dites handicapées moteurs (ANPIHM) et le Comité pour le droit au travail des handicapés et pour l’égalité des droits (CDTHED) ont communément répété
« que la réduction des situations de handicap nécessite de rechercher l’autonomie maximum pour les personnes confrontées à ces situations, afin de favoriser leurs accès aux droits de tout citoyen, et notamment la liberté effective de circuler ». Cette remarque, parue dans un communiqué, sonne comme une piqûre de rappel dans un pays où, si des progrès sont à constater dans le sens des handicapés, beaucoup reste à faire. Et notamment en termes de formation à la conduite.
De fortes inégalités entre les différents handicaps
Si les questions d’accessibilité aux transports en commun, aux bâtiments publics, à l’emploi, etc., ont bien été balayées dans la loi du 11 février 2005 sur l’égalité des chances pour les personnes handicapées, le permis de conduire en est absent, à l’exception de l’article 77 mentionnant la présence d’un interprète ou médiateur en langue des signes aux épreuves théoriques et pratiques du permis B pour les personnes sourdes et malentendantes. Pour Claude Dumas, D-g du Centre de ressources et d’innovation Mobilité Handicap (CEREMH), ce manque de réglementation est un problème. « Il n’existe aucune démarche pour se lancer dans cette formation qui reste accessible à quiconque possède un véhicule adapté, se lamente-t-il. Au final, on voit des jeunes dans l’impasse malgré 120 heures de conduite car les auto-écoles n’arrivent pas à gérer leur cas ». Un constat essentiellement valable pour les élèves atteints de troubles cognitifs. Dans l’Hexagone, le nombre d’auto-écoles adaptées est estimé aux alentours de 250 établissements, avec de fortes disparités entre les handicaps gérés par ceux-ci, mais aussi des inégalités géographiques. Concernant les déficiences psychomotrices, seuls les cas très lourds ne sont pas compatibles avec la conduite. En revanche, « pour les autres problèmes physiques, il existe actuellement suffisamment de moyens pour répondre à un grand nombre de demandes, explique Claude Dumas. Pour la conduite au joystick par contre, seules 6 ou 7 structures la proposent, majoritairement des structures semblables à la nôtre (le CEREMH dispose d’une auto-école associative) et non des enseignes marchandes ». La faute, souvent, à un retour sur investissement bien trop faible en cas d’acquisition d’un véhicule suradapté. Gérard Garcia, gérant et moniteur au CER Blanquefort (Gironde), fait néanmoins figure d’exception en disposant d’un tel outil. « En moyenne, un véhicule adapté à la conduite au joystick et au chargement du fauteuil tel celui que nous possédons (Lancia Voyager, ndlr), il faut compter 100 000 euros. C’est une somme conséquente pour une auto-école seule, concède le directeur de l’établissement. Pour notre part, nous travaillons en partenariat avec l’aménageur ACA et le Centre de réadaptation de la Tour de Gassies. Ainsi, les 3 parties investissent dans ce projet, le rendant plus supportable financièrement ». On l’aura compris, le manque de rentabilité est un frein au moment de se lancer, tout particulièrement dans un projet aussi onéreux. Mais proposer la conduite handicapée dans son auto-école a d’autres intérêts.
Une démarche « philanthropique »
À écouter bon nombre de gérants d’auto-école ayant ajouté l’handi’conduite à leur catalogue, la rentabilité n’est pas le moteur de leur démarche. À l’inverse d’un intérêt tout particulier porté à ces déficiences et d’une volonté d’afficher une certaine solidarité vis-à-vis des personnes en proie à ces difficultés. Valérie Brèche, co-gérante de l’ECF Brèche basée à Remiremont (Vosges), en est un parfait exemple. « Avant de travailler en auto-école, j’ai exercé pendant 11 ans dans un service de pédopsychiatrie. J’étais donc au contact du handicap et sensible à cette cause, tout comme mon mari, raconte-t-elle. Si cette partie de notre activité n’est pas vraiment rentable puisque le véhicule est plus cher pour un nombre d’élèves plus faible, nous le faisons avant tout pour rendre service. D’ailleurs, dans les Vosges, un seul autre établissement propose cette formation ». Pour Mélina Bonichon, co-gérante de l’ECF Alain à Arpajon-sur-Cèze (Cantal), le peu d’élèves n’est pas un souci. « La boîte automatique est fréquemment demandée, même par des personnes valides, étant donné que nous sommes l’unique structure du département à en posséder une. Même si l’équipement pour la formation des handicapés a coûté environ 10 000 euros, cela ne pose pas de problème pour conserver notre véhicule puisqu’il est suffisamment utilisé ».
Permis AM : une piste de développement
Selon Claude Dumas, il existe pourtant des pistes à explorer pour rendre la mobilité accessible au plus grand nombre et attirer davantage d’élèves. Parmi elles, le permis AM lui semble être une des plus intéressantes à creuser. « Dans les cas d’un handicap d’ordre psychique, la difficulté réside dans la lenteur d’assimilation de ces gens. Un apprentissage progressif de la mobilité, d’abord en vélo puis en cyclomoteur avant d’atteindre la voiture, faciliterait sans doute leur émancipation, explique-t-il. Au CEREMH, nous formons des éducateurs en ESAT (Établissement et service d’aide par le travail) à initier les jeunes à la pratique du vélo et des moniteurs d’auto-école au permis AM. Lorsque l’éducateur estime que son protégé est prêt à passer au scooter, il se tourne vers le moniteur et travaille en binôme avec lui pour amener le jeune à l’obtention de l’ex-BSR ». Outre cette possibilité, le dirigeant tient aussi à souligner l’importance de s’améliorer sur le traitement du handicap lié au vieillissement. « En France, on fait souvent la distinction entre les deux. Or l’avancement en âge entraine tout un tas de petits handicaps qui, cumulés, deviennent contraignants voire dangereux dans le cadre de la conduite automobile », prévient-il.
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